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Compteurs électriques dits « intelligents » :
le gouvernement wallon prépare l’inacceptable

Francis Leboutte, ingénieur civil – Le 27 juin 2018
Le point de départ de cet article est un communiqué conjoint des ASBL
Grappe et Fin du nucléaire en date du 22 juin 2018(1)

Note ajoutée le 8 juillet 2018

Comme le dit le Ministre Crucke dans l’historique du projet de décret qu’il fait lors de la dernière séance de la Commission énergie du Parlement wallon (le 2 juillet, 3e lecture), le principal changement par rapport à la 2e lecture de fin avril est « le report de trois ans du démarrage du déploiement » (voir le compte-rendu de la séance, pages 78 et 79). À cela, il faut ajouter quelques amendements, votés in extremis, pour tenter de remédier aux anomalies juridiques relevées par le Conseil d’État dans un avis lui-même très limité : en effet, le Conseil d’État a été mis dans l’impossibilité de rendre un avis complet sur le projet, du fait, d’une part, du délai imparti, et, d’autre part, plus grave encore, par la méthode utilisée par le Ministre : « De nombreuses incohérences résultent de cette méthode qu'il y a lieu de déconseiller, ce d'autant plus que la juxtaposition, la superposition de plusieurs variantes de modifications apportées dans les différents textes soumis pour avis aux mêmes articles du même texte modifié, placent la section de législation dans l'impossibilité de se prononcer ».
Le tour est joué, la démocratie bafouée une fois de plus, avec la complicité de médias comme Le Vif et Le Soir qui, tous deux, titrent le 3 juillet « La Wallonie n'imposera les compteurs intelligents qu'aux gros consommateurs », ce qui est faux jusqu’à l’absurde.

 

Peu de Wallons ont connaissance du projet de décret sur le déploiement des compteurs « intelligents » que vient d’approuver le Gouvernement wallon, projet qui sera soumis au vote du Parlement début juillet. Pourtant les conséquences de ce décret, s’il était mis en œuvre, seront tout sauf négligeables, que ce soit en termes de surcoût pour l’usager et d’impacts négatifs sur la protection de la vie privée, la santé et l’environnement.

De quoi s’agit-il ?

Le « compteur communicant » en question est un compteur électrique pouvant être interrogé et actionné à distance, par exemple pour être coupé (le terme de « compteur communicant », plutôt que celui de « compteur intelligent » utilisé dans le projet de décret, est conforme à la réalité car ce dispositif ne comporte aucune intelligence – il y a là un abus de langage et une injure à l’intelligence humaine).

Le Linky, le modèle en cours d’installation en France(2), serait également installé en Wallonie si le décret était voté.

Un « concentrateur » est installé au niveau de chaque cabine basse tension pour assurer la communication entre les compteurs individuels (une centaine par cabine) et le centre de données et de gestion. La communication entre le concentrateur et les compteurs Linky alimentés par la cabine se fait via le réseau électrique basse tension lui-même selon la technique CPL (courants porteurs en ligne), par un signal émis dans la bande des basses fréquences – de 30 kHz à 300 kHz. La communication entre les concentrateurs et le centre de données passe par le réseau de téléphonie mobile (UHF, ultra haute fréquence – de 300 MHz à 3 GHz).

Le compteur communicant collecte les données de consommation de l’usager (la « courbe de charge »), données qui sont stockées dans un centre de données. À partir de cette courbe de charge, nombre d’informations peuvent être déduites sur les habitudes et le mode de vie de l’usager ainsi que l’inventaire des équipements électriques dont il dispose et, par là-même, ceux dont il ne dispose pas encore. Cette contribution au « big data » est certainement une des raisons principales qui expliquent l’engouement des gestionnaires de réseau de distribution pour le compteur communicant, car elle constituerait une source de profit qui s’ajouterait à celles de la mise en place du système et de sa maintenance, cette mise en place représentant à elle seule un budget potentiel de plus de cinquante milliards d’euros dans l’UE (plus de 2 milliards en Wallonie – un coût qui serait évidemment reporté sur les usagers).

Étant donné la faible portée du signal CPL (moins de 200 m), il est nécessaire qu’une majeure partie des compteurs sur une même « grappe d'habitations » soient des compteurs Linky (ils agissent comme répéteurs les uns pour les autres). Dans le cas des habitats dispersés, il sera nécessaire d'ajouter des répéteurs ou d'utiliser un autre moyen de communication que le CPL.

À noter que le signal CPL franchit le compteur et se répand dans le circuit électrique intérieur de l'habitation (même si ce n'est pas utile actuellement – à l'avenir, le compteur pourrait être utilisé pour communiquer avec les « objets connectés » présents dans l'habitation). Les câbles électriques d’une habitation n'étant généralement pas blindés, une partie de ce signal est perdu sous forme de rayonnement électromagnétique présentant un risque pour la santé(3).

En Belgique, il y a environ 6 millions de compteurs et 75.000 cabines basse tension, ce qui fait une moyenne d'une petite centaine de compteurs par cabine (ce qui ferait une petite centaine de compteurs Linky en moyenne par concentrateur). Dès lors, il y aurait potentiellement 6 millions de Linky et 75.000 concentrateurs à installer, sans parler des répéteurs et des centres de données et de gestion.

Le projet de décret

Force est de constater que l’objectif du projet de décret qui sera soumis début juillet [le 18 en principe] au Parlement wallon est de faire en sorte que tout citoyen de Wallonie soit contraint, tôt ou tard, d’utiliser un compteur communicant.

En effet, il s’agirait dans un premier temps et à bref délai de contraindre deux catégories de personnes d’accepter ce compteur :

À ces deux catégories, le décret ajoute celle de ceux qui en feront la demande et celle de ceux chez qui le remplacement serait « motivé par un impact positif sur le montant de la facture d’électricité », la « motivation du remplacement » étant laissée à la discrétion du seul gestionnaire de réseau.

Cinquième et dernière catégorie, celle des gros consommateurs (plus de 6000 kWh) et des gros producteurs (plus de 5 kW de puissance électrique nette) dont au moins 80% devront en être équipés avant le 31 décembre 2029.

Enfin, le gouvernement se réserve le droit d’étendre ces catégories d’utilisateurs précitées sur la base du rapport annuel que la CWaPE devra publier chaque année en matière de déploiement des compteurs communicants.

Il n’y aucune échappatoire car l’article 35§3 précise que « nul ne peut s’opposer au placement d’un compteur intelligent ni en demander la suppression sous peine de ne pouvoir exercer son droit d’accès au réseau ». La dictature technologique se met en place !

Il est concédé une possible dérogation à l’installation d’un compteur communicant lorsqu’un utilisateur « se déclare souffrant d’un problème d’intolérance lié au compteur intelligent et dûment objectivé ».

Cette concession aux personnes électrohypersensibles n’en est pas une car elle consiste à exiger l’impossible : démontrer un lien de cause à effet que les autorités de santé refusent de prendre en considération ; l’électrohypersensibilité n’est en effet pas reconnue dans notre pays comme handicap dû à l’exposition aux ondes électromagnétiques – contrairement à ce qui est le cas en Suède par exemple. D’autre part, cette maladie pouvant se déclarer à tout moment, qu’en est-il du citoyen disposant d’un compteur communicant qui voudrait revenir à un compteur électromécanique ?

Sur l’aspect santé en général

On ne dispose pas de données suffisantes sur les nuisances provoquées par le rayonnement électromagnétique généré par le signal CPL dans la bande des basses fréquences utilisées par les compteurs communicants.

Par ailleurs, l’installation de dizaines de milliers de concentrateurs émettant dans la bande des hautes fréquences augmenterait sensiblement la pollution électromagnétique.

Le déploiement des compteurs communicants augmenterait notre exposition aux ondes électromagnétiques mais les conséquences en termes de santé publique sont ignorées par le projet de décret.

Sur la protection de la vie privée

Les citoyens sont priés d’accorder une confiance absolue au gestionnaire du réseau quant à l’utilisation des données personnelles que les compteurs communicants vont leur apporter.

Sur la vulnérabilité face au piratage

Les experts internationaux en matière de cybersécurité ont dénoncé la grande vulnérabilité des compteurs communicants face au risque de piratage. Comme le précise la Ligue des Droits de l’Homme dans un message récent aux députés bruxellois, il n’est pas prudent de déployer à grande échelle ce type de compteurs tant qu’ils ne sont pas correctement cybersécurisés ce qui constituerait une autre cause de surcoût pour le consommateur.

Sur l’insécurité des compteurs communicants

La presse française a fait état d’une quinzaine d’incendies provoqués par les compteurs Linky en France où ils sont en cours de déploiement. Cet aspect de la problématique est cependant passé sous silence par le gouvernement wallon et les gestionnaires de réseau.

Sur le surcoût pour les usagers

Une étude de la CWaPE avait conclu que le déploiement des compteurs communicants en Wallonie en coûterait 2,2 milliards d’euros au consommateur. Il y aurait encore d’autres surcoûts à ajouter : – la consommation d’électricité nécessaire au fonctionnement du système (voir ci-dessous) ; – du fait de la faible durée de vie du compteur communicant (7 ans) par rapport au compteur électromécanique (40 ans), le remplacement beaucoup plus fréquent du compteur, lui-même beaucoup plus cher (environ 15 € par an et par usager, soit une centaine de millions d’euros pas an pour la Belgique) ; – et d’autres, comme la maintenance des centres de données et de gestion.

Sur la nécessité du compteur communicant pour la transition énergétique

Le déploiement des compteurs communicants est un choix politique qui sert les intérêts des fabricants de ces compteurs regroupés dans l’organe de lobbying ESMIG (European Smart Metering Industry Group devenu récemment European Smart Energy Solution Providers...). On peine à y trouver le moindre avantage sociétal et la référence à la transition énergétique est un paravent trompeur qui masque tous les défauts de ce système et son origine strictement mercantile. Les cas de l’Allemagne, du Portugal et des États-Unis sont de bons contre-exemples en la matière :

  • L’Allemagne, un pays à la pointe du développement des renouvelables, a décidé de limiter les compteurs communicants aux seuls gros consommateurs (plus de 6.000 kWh/an, soit 15 % des consommateurs), suivant en cela les recommandations du cabinet d’audit EY (ex-Ernst & Young) qui pointait notamment le surcoût pour le consommateur.
  • Au Portugal – où les compteurs communicants n’ont pas été déployés –, la production renouvelable a assuré 80 % de la consommation électrique du pays en mars 2018, grâce à l’éolien pour la plus grande part.
  • La Californie et d’autres États des États-Unis ont fait machine arrière en obligeant le gestionnaire de réseau à réinstaller un compteur électromécanique à la demande du client.

Si les recherches en cours afin d’établir les meilleurs méthodes de gestion d’un réseau de distribution alimenté principalement par les énergies renouvelables – on en est loin encore – concluait à l’intérêt du compteur communicant – ce qui est loin d’être certain –, il suffirait certainement de le disposer au niveau de chaque cabine basse tension et pas chez chaque usager.

Il est paradoxal de voir un système promu comme indispensable à la transition énergétique consommer plus d’énergie que le système qu’il est censé remplacer. En effet, d’une part, contrairement à ce que laisse entendre le lobby, les compteurs communicants n’induisent pas de réduction de la consommation des usagers ; celle-ci ne peut venir que des changements de comportements. D’autre part, l’infrastructure nécessaire consomme de l’électricité, ce qui est vrai tant pour les compteurs communicants que pour les centres de données, sans oublier les répéteurs et les concentrateurs. A cela, il faut encore ajouter l’énergie consommée tout au long du cycle de vie des compteurs communicants et des autres équipements, énergie très supérieure à celle du cycle des compteurs électromécaniques (par exemple les compteurs communicants ont une durée de vie bien plus courte et, comme tout équipement électronique, ils nécessitent un grand nombre de métaux demandant beaucoup d’énergie pour être extraits et raffinés).

Sur les compteurs électromécaniques qui ne seraient plus fabriqués

Cet argument avancé par le lobby des compteurs communicants et relayé par certains élus est tellement ridicule qu’il n’est pas nécessaire de s’y attarder.

Tous ces éléments, auxquels il convient d’ajouter l’atteinte au droit d'accès à l'énergie que constitue ce projet ainsi que l’absence de véritable débat démocratique sur le bien-fondé de ces compteurs, convergent pour justifier le rejet du projet de décret. Le compteur communicant place le citoyen usager sous le contrôle et la surveillance du gestionnaire en dehors de tout contrôle démocratique et juridique. Rien qu’à ce titre, ce projet de décret est intolérable.

Comment réagir dans l’immédiat ?

Dans l'immédiat, la meilleure façon de s'opposer au décret et au déploiement de ces compteurs est de contacter ou d'écrire aux parlementaires wallons, avant le vote de juillet, tout particulièrement à ceux des partis politiques qui s'apprêtent à voter pour le décret, le cdH et le MR. Consulter la page www.findunucleaire.be/cc.htm pour trouver les adresses des députés et pour plus d’information.

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(1) Signé de Paul Lannoye et Francis Leboutte, voir www.findunucleaire.be/cc.htm
(2) Le déploiement de ce compteur en France rencontre une résistance grandissante de la part des citoyens et des communes : des collectifs anti-Linky naissent un peu partout et, actuellement, près de 700 communes s’opposent au déploiement du Linky.
(3) Il en va de même si vous utilisez le CPL pour votre réseau informatique local (domestique). Cette pollution électromagnétique s'ajoute à toutes les autres et présente un risque pour la santé dont l’ampleur n’est pas bien évaluée actuellement.